PARTIE 2 / CHAPITRE 4 - Christophe et le singe nain au parasol rose fuschia échangent

 

 

 

- Qu'est-ce que tu fais là, au milieu de la nuit et du désert ?

- Je m'appelle Christophe. Je suis un mandrille. J'étais employé par le Syndicat jusqu'à ma capture par les collaborateurs de terrain de la SAGEREP. Je suis là parce que j'aime me rendre utile.  

- Je le sais tout ça. Qu'est-ce que tu fais là, au milieu de la nuit et du désert ?

- Ma carrière au Syndicat a duré 30 ans. 30 ans et ma position hiérarchique n'a pas bougé d'un iota depuis mon embauche. Vous pensez que je suis une merde, j'imagine ? Ne vous en veuillez pas. Beaucoup pensent comme vous. Beaucoup ont de minuscules cerveaux de singe, remplis de minuscules objectifs. Pas moi. Moi je vais monter haut, je le sais. Sur ce poste ou sur un autre. Alors tant pis si je mets longtemps à y arriver.
Laissez-moi vous raconter une histoire arrivée au Glenn Miller orchestra. Leur arrivée était prévue en fin de soirée à San Francisco. Le sort en décida autrement. Les voici obligés d'atterrir en plein champ au milieu de la Pennsylvanie. La neige tombe drue. Les 15 musiciens descendent de l'avion et se dirigent vaille que vaille vers une maison située en contrebas. Après 10 minutes de marche dans la boue et la neige, transis de froid et de faim, ils s'arrêtent devant la fenêtre principale de la maison. Dedans, de la lumière, des rires, un poulet juteux sur une tablée avec à côté des pruneaux, des haricots verts, des patates douces. Le trompettiste se retourne vers le contrebassiste et avec une moue dédaigneuse, pointant du doigt la scène, lui dit : " t'appelles ça une vie, toi ? "


- Mais, mais, mais… Tu es à côté de la plaque, mon pauvre ami. Mes espions m'ont ramené ta fiche de poste du Syndicat. Tu as toujours été qu'un peu de viande sans perspective d'évolution. Si tu attends de toi d'avoir une révélation sur le tard et de progresser dans ta vraie voie, tu peux attendre encore longtemps. D'après tes évaluations annuelles, tu n'es même pas bon dans ce que tu fais ! Ça m'énerve ! Tu ne sais même pas pourquoi tu es là, au milieu de la nuit et du désert… Tu vis réfugié dans ton propre fantasme.

- Je fais 10 km de course à pied chaque matin à travers la Jungle… Je me couche tôt chaque jour, pour avoir l'énergie nécessaire d'accomplir les tâches que je dois accomplir... Je ne compte pas les victimes à achever après chaque bataille entre nos deux camps… Et c'est un petit singe de rien du tout avec un parasol rose fuschia, vissé sur sa tête de rien du tout, qui croit ébranler mon implication ? Mais, petit singe, tu sais vraiment pourquoi je suis là au milieu de la nuit et du désert ? Je suis là parce que la prison ça me donne des fourmis dans les jambes. Je suis là parce que la nuit est belle. Je suis là parce que l'aube est proche et avec elle, l'espoir du combat. Je me fiche de savoir où je vais et avec qui. C'est peut-être cela mon talent. Il faudrait lui donner un nom. Toi, t’es un intello. Toi tu sais faire, nommer les choses ? Fais-le alors, fais-le. 


- Je pourrais oui. Mais j'ai autre chose à prioriser. Davina a donné ses ordres. Davina a dit : va avec tous les prisonniers dont le sommeil est paisible attaquer le camp du Syndicat. Ils ne me serviront à rien. Ils peuvent tous mourir. Ils ne me serviront pas à trouver les plages de San Francisco.
 

La dernière phrase du singe nain au parasol rose fuschia ne fut entendu que de Christian et quelques perroquets insomniaques qui - quelques mètres au-dessus d’eux - volaient pour tromper leur ennui.


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