Chapitre 18 - L'histoire du singe nain au parasol rose fuschia
Le singe nain au parasol rose fuschia n'est plus tout jeune. C'est du moins ce que Davina aime à lui faire croire - pour aiguiser sa niac ! Et pourtant il se souvient de son embauche comme si c'était hier, quand il n'était encore qu'un singe nain - tout simplement. Son sourire d'alors était franc, direct, son crâne, intact de tout forage. Il le faisait reluire tous les matins dans une petite cabane située à côté du grand chemin menant au mur d'enceinte. C'était un lieu à part caché du regard par les feuilles des palétuviers. Un lieu qu'après la 6ème reconduction de son CDD, il avait commencé à considérer comme son foyer.
Il avait une seule pièce. Elle était aménagée avec soin. Des feuilles de bananiers mélangées à de la terre formaient une épaisse couche isolante qui rendait les nuits solitaires du singe nain un peu moins humides que celles passées au pied d'un arbre, au cœur de la jungle. Des lianes finement tressées accrochées par pairs au plafond, permettaient à quelques succulentes de s'épanouir sans être à la merci des singes ivres venant pisser leurs pisses alcoolisé. Enfin, au centre, un lit sommaire était fait de deux rondins de bois entre lesquels étaient entreposées des ramettes de papier. Ceci pour fournir à son dos l'assise suffisante lui évitant une sciatique et un arrêt de travail prolongé.
Le premier jour, il s'était présenté dès 8h30 aux portes du Syndicat, vêtu d'une veste et d'un pantalon noirs trop grands pour lui, d'une chemise blanche et d'une cravate fine assortie. Le contact de la soie légère de la chemise avec sa peau apaisait son anxiété. Les autres pièces de vêtements qu'il portait lui rappelaient les films de mafia qu'il regardait plus jeune. Ils étaient remplis de gorilles qui n'avaient peur de rien. Dans ses rêves les plus fous, le singe nain s'imaginait que lui aussi pouvait devenir comme eux.
Premier jour. Premier déjeuner.
"Un mentor c'est fait pour t'accompagner, te soutenir dans ta découverte de l'organisation … " Bastien avait cet air de constante ironie au coin des lèvres. Ses yeux mi-clos balayaient le restaurant depuis la table où ils étaient attablés. La plupart des clients mangeaient des larves d'insectes en brochettes, accompagnées de sauce Teryaki. Un mandrille en bout de salle avait fini son repas et regardait dans le vide tout en se curant les dents…
"Et de toi-même !..." Le regard perçant de Bastien revint à son point de départ : le crâne maladivement bombé du singe nain, qui- lui - avait les yeux rivés dans son assiette. Bastien sourit.
Le singe nain était installé dans un bureau seul, car celui au sein duquel il devait être avec l'équipe dans laquelle il avait été recruté n'avait plus de poste vacant. Il avait beaucoup d'application au travail. Et si dès fois, il avait l'air soucieux, c'est qu'il l'était réellement.
Une semaine passa, au cours de laquelle il put un peu se détendre. Il en avait envie. Il avait envie de se réveiller plus tard, de passer moins de temps à se préparer. Il déjeuna dans le même restaurant toute la semaine. Bastien ne lui en avait montré qu'un.
C'est au retour d'un de ses déjeuners qu'il fut pour la première fois pris à partie par Bastien. "Viens, on va prendre un café…Tout va bien pour toi ici ?..." Le singe nain répondit que oui, tout allait bien pour lui, que les défis ne manquaient pas, et qu'il avait hâte de livrer sa première bataille. Bastien le regarda droit dans les yeux, hocha la tête, et retourna dans son bureau. Le singe nain resta là, les deux pieds solidement ancrés dans la moquette, avec le sentiment d'avoir eu une belle conversation avec son supérieur direct. Puis il se dirigea vers le bureau d'à côté, où se trouvaient Bastien et son équipe. Il voulait leur demander une idée de restaurant pour ce midi. Mais une envie pressante le força à faire un détour par les toilettes. Une fois soulagé, il alla toquer à leur porte. Elle bâillait, avec un léger frémissement, laissant entrevoir un bureau vide, avec au beau milieu un parasol rose fuschia.
Il faisait beau dehors. Un léger vent fit voler quelques feuilles de papier accumulées sur le côté d'un bureau. Le singe nain se précipita le dos courbé vers l'endroit où étaient tombés les feuilles. De la merde légèrement liquide répandue sur le sol les imprégnaient centimètres carré par centimètres carré. Fasciné, le singe nain s'immobilisa quelques instants. Une trop grande nervosité s'empara de son corps, et fit son chemin muscle après muscle jusqu'à l’arrière de sa tête. Ses oreilles se mirent à bourdonner. Il essaya de parler. Il avait l'impression que ses paroles sortaient très fortes en dehors, très floues au dedans.
Les stores se fermèrent brusquement. Accroupi, le singe nain leva les yeux vers le ciel, et vit une pointe acérée, faite de plastique et de métal, arriver droit entre ses deux yeux. Alors il courba son dos, regarda droit vers la terre et la pointe se ficha au sommet de son front.
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