Chapitre 15 - Les insomnies de Davina



 


- Je sens que je ne vais pas arriver à dormir cette nuit, se dit Davina, en boutonnant le haut de son pyjama.

Des poils sortirent de son échancrure comme deux garnements filant après avoir fait une bêtise. Gênée, elle attrapa un grand couteau effilé sur sa table de nuit, leur fit un sort et les laissa mourir sur le plancher. Ce n'est pas que Davina était coquette - son emploi du temps ne lui permettait pas, c'est juste qu'elle ne laissait rien au hasard.

Davina se coucha dans son lit de bois et tira sa couverture rêche sur son corps. Sans un coussin entre son crâne et l'armature de son lit, son esprit fonctionnait beaucoup plus rapidement et efficacement. Et c'était tant mieux. “Seuls les plus futés survivent dans la jungle”. Depuis les premiers jours de la guerre entre le Syndicat et la SAGEREP, elle vivait par cet adage. Dès les premières nuits de la guerre, ses rêves, que son sommeil inconfortable rendaient particulièrement vivaces, étaient pleins de bruit, de fureur et de  nouvelles tactiques guerrières. Mais après une semaine de conflit, la grande singe s’aperçut avec dépit que son intelligence avait donné tout ce qu'elle avait à donner. Les rêves s'effilochaient un à un sur les échardes de son lit. Ses yeux ne pouvaient plus s'éteindre. Son esprit tournait, rassis. Et la solitude durant ces nuits d'insomnies devenait de plus en plus difficile à supporter.


Il était maintenant 1 heure du matin. Davina se tournait et se retournait dans son lit. Les os pointus de son bassin devenant de plus en plus douloureux à chaque passage. Elle était en colère, voulait quelqu'un à réveiller, mais personne ne dormait à côté d'elle. Quelques minutes passèrent sans qu'elle puisse se calmer. Puis Davina se mit à imaginer le camp du Syndicat comme un désert plat, sans singes, sans perroquets, sans VMC, sans vies. Sa respiration se calma au fur et à mesure qu'elle se laissait envahir par cette image extatique. Son poil cessa d' être agité par des petits agrégats d'électricité statique. Et elle s'endormit. Le noir. Le noir des lucioles et des grands puits sans fin où l'on tombe avec délice. Une lumière aveuglante. Enfin !


Mince.

- JE VOUS AI DEMANDÉ DE BOUCLER CE DOSSIER POUR VENDREDI DERNIER DÉLAI ! ON EST LUNDI, VOUS POUVEZ M'EXPLIQUER CE QUE VOUS AVEZ FOUTU CE WEEK-END ???

Contre-plongée. Un humain mâle aux cheveux légèrement grisonnants, vêtu d'une chemisette et d'une cravate couleur vert-de-gris, hurle sur Davina. Les filets de salive qui jaillissent de sa bouche le font semblable à un serpent venimeux en train de fondre sur sa proie. Tout au long de la matinée, les persiennes du bureau laissaient percer agréablement le soleil venant de la mer. Davina était allé regarder par la fenêtre, à 10h, lors de la pause café qu'elle préférait passer seule. À cette occasion, elle avait admiré filant sur la baie un homme chaussé de rollers. Il avait une dégaine mystérieuse qui ne l'avait pas laissé indifférente. Mais elle s'était tout de suite juré de ne pas en faire une fixette.

Retour en contre-plongée. L'homme vert-de-gris continue toujours d'hurler sur Davina, et de taper du poing sur la table. Davina tente de garder une mine impassible. Elle se focalise maintenant sur les dents de son éructant interlocuteur, et les compte et les détaille avec application. Elles semblent sur le point de se déchausser. Son regard remonte de quelques centimètres pour en chercher la cause. Ses gencives sont rouges. Il devrait utiliser du fil dentaire... Elle regarde l’intérieur de sa bouche comme un lapin les phares d’une voiture.


- Maîtresse… maîtresse… Vous faites un mauvais rêve… Votre fourrure est en sueur… chuchota une voix familière à quelques centimètres de sa tête. 



Dans le noir de la bouche de son supérieur hiérarchique apparut la trogne cassée d'un singe. Il avait le bas du visage arraché. Ses mots - on ne sait comment - arrivaient à passer à travers un petit trou de quelques centimètres d'où s'écoulait aussi beaucoup de bave. Davina se releva et resta quelques secondes assise sur son lit en se grattant l'arrière du crâne, pendant que le singe défiguré la fixait silencieusement.


- Allons manger. J'ai faim, dit-elle en se dirigeant vers la porte de sa chambre. ET REVEILLEZ LES PRISONNIERS, BORDEL DE MERDE !





 

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