Chapitre 7 - l'exécution de Benoît

 
 

 
- Benoît, vous voulez que je vous raconte mon rêve de cette nuit ?
- …
- Écoutez, la corde n'est pas de top qualité. Et le bourreau a commencé à bosser pour nous il y a tout juste quelques heures. Donc on a un peu de temps avant le couic final. Je suis le premier à le déplorer, je vous prie de le croire.

Benoît ne put s’empêcher de bougonner : “ je ne risque de ne pas vous accorder toute l’attention que vous méritez, mais allez-y quand même”.

- J’étais dans mes appartements privés. Vous savez, ceux avec des murs blancs et les poutres apparentes. Ceux dans laquelle nous avons fait une réception avec l’équipe l’année dernière. Vous voyez ? Donc je suis à tourner dans la pièce principale, lorsque je me rends compte que de l’air vient du miroir du salon. Je m’approche, intrigué, et commence à tâter ses dorures à la recherche de l’origine du souffle. Le miroir est une porte sans poignée. Je l’ouvre en m’abîmant les ongles. Et je me retrouve dans une pièce bas de plafond, avec au centre un lit superposé. Sur le lit du haut dépasse deux crayons mous, qui se mettent à bouger de plus en plus vite. J’avance. Ils sont attachés à un corps humain qui ondule en cadence avec eux. Il a un casque jaune plaqué sur la tête, les yeux écarquillés et un sourire dément sur le visage. Je me réveille en sursaut. C’est dingue, non ? Tu as déjà rêvé d’humains, toi ? Moi, non. Enfin…

Le bourreau enfila le nœud de pendu autour du cou de Benoît, et le serra. Autour de la potence étaient rassemblés une vingtaine de bonobos. Ils étaient entourés par trois gorilles, afin de prévenir d’éventuelles désertions. Les bonobos grondaient à l’unisson. Le spectacle leur avait été imposé par le Président du Syndicat. Ils n’aimaient pas assister à l’exécution de l’un des leurs. Durant les batailles, on n’est jamais vraiment témoins de la mort d’autrui. On voit ça du coin de l'œil. Mais pour se développer professionnellement, il est bon de regarder droit dans les yeux celui qui va nous quitter. Au moins une fois. C’est de toutes façons ce que Bernard pensait. Et sa parole, depuis toujours, faisait office de loi.

Jean-Emmanuel sifflotait, l’air absent. La trappe allait bientôt s’ouvrir et avec elle la promesse d’une autre vie. Benoît regarda une dernière fois la salle. Au fond, à côté de la porte, Rémi et Bastien étaient en train de vider les bouteilles.

Ne t’arrête pas à ça, Benoît. Pas maintenant. Profite plutôt de tes derniers instants dans la jungle pour faire une rapide évaluation sur tes axes d’amélioration. Benoît croyait se dire ça à lui-même. Mais il se rendit compte que c’est Jean-Emmanuel qui disait quelques mots à l’assemblée avant l’exécution.

- Pourquoi voudrais-je ressembler à celui qui veut me tuer ?

Jean-Emmanuel s’arrêta tout à coup de parler. Benoît avait pensé tout haut.

Quelques secondes après, de l’autre côté de la salle, la porte d’entrée se mit à gonfler. Et après la troisième expiration, ses gonds furent projetés dans les tréteaux. Les lourdes tables en bois de palmier basculèrent sur Rémi et Bastien.

Une brume matinale se répandit dans la salle.

- ILS SONT ENTRÉS ! ILS SONT ENTRÉS !

La vigie alerta, mais trop tard. Maintenant, plus aucun des bonobos n’étaient visibles. Seuls les crânes hirsutes des gorilles émergeaient de la scène, comme de hauts sommets dans une mer de nuages.

Benoît vit Jean-Emmanuel s’écrouler à côté de lui. Puis il sursauta quand la corde de potence tranchée d’un coup sec tomba sur sa tête.

Du brouillard, un bras se tendit vers son épaule, pour l’emmener vers la sortie.

Hagard, Benoît se laissa tirer. Des mains supplémentaires vinrent s'agripper à ses épaules, tirer ses avants-bras, pousser le bas de son dos. Il était maintenant en train de courir. La brume se répandit dans le couloir jusqu’au bureau du Président, dans le hall d’accueil, et enfin terrassa la grande muraille de bric et de broc qui se dressait à l’entrée du Syndicat. Benoît sentait qu’il n’avait plus d’efforts physiques à faire pour garder la même vitesse. Il  en profita pour regarder et comprendre à qui étaient rattachés les mains qui l'avaient projeté en avant et dehors. A droite, il vit un chimpanzé aux orbites vides, aux gencives sales, et dont la tête semblait écorchée jusqu’aux joues, faisant croire plus bas à une barbe ce qui n’était simplement que ses poils. A gauche se trouvait un singe hurleur dont les pattes avaient été remplacées par du bois. Au fur et à mesure que le petit groupe avança dans la jungle, l’humidité se fit telle que la brume qui les entourait se transforma particule par particule en eau, et vint irriguer la jungle à leurs pieds.



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