Chapitre 6 - les dernières heures de la vie de Benoît



C’est toujours difficile de passer une nuit debout. 8 heures, c’est long, trop long quand on est éveillé. L’horloge tourne vite et sans bruit. Les sons sont étouffés et immenses. Et la solitude est vertigineuse, avec personne à réveiller. Benoît était dans le local informatique, qui faisait pour l’occasion office de prison. Il était allongé sur le lino, entre deux étagères en métal, où vieillissaient des unités centrales poussiéreuses et des souris filaires.
Vers 5 heures du matin, les yeux toujours fixés au plafond, le jeune singe sourit puis ferma les paupières et sombra dans un court sommeil. Quelques heures plus tard, il fut réveillé par un cliquetis de serrure. Jean-Emmanuel passa la tête à travers l’interstice et dit :


- Oh l’endormi ! On se réveille, c’est l’embauche ! Tu passeras me voir à mon bureau avant d’aller à la potence, dis ? Tu es gentil.

Benoît se leva en maugréant et voulut jeter un coup d'œil par le velux. Il aperçut une faible lumière, et entendit le bruit des vagues.

Benoît monta quatre à quatre le petit escalier qui menait à l’étage d’au-dessus, où se trouvait le bureau de Jean-Emmanuel. L’horloge à l’entrée du couloir indiquait 7 heures du matin.  Les bureaux étaient vides, et c’était bien normal. Sa honte de ne pas pouvoir arriver un peu plus tôt chaque matin refit surface.  

Le bureau de Jean--Emmanuel était le 7ème sur la droite, se rappelait-il. Il franchit les trois premiers, en regardant à chaque fois mécaniquement s’ils étaient vides ou non. Bien sûr, il aurait très bien pu chaque jour se réveiller une demi-heure plus tôt et sauter directement du lit vers la douche. C’était un levier activable très facilement ça.
Les 4ème et 5ème étaient les bureaux de ses deux amis Rémi et Bastien. Benoît passa devant et vit qu’ils avaient été transformés en toilettes. Rémi sortit de l’un d’eux et passa devant Benoît sans le voir. Benoît se palpa brièvement le visage et s’arrêta sur ses dents. Elles avaient besoin d’être aiguisées, pas de doute, et il avait tout le nécessaire dans le 1er tiroir en partant du haut. Mais avaient-elles vraiment besoin d’être lavées ? Un singe, ça a une réputation à tenir. Et les bonobos étant réputés comme un peu lavettes. Si la saleté des dents permet de donner le change, alors c’est banco. Et voilà, encore une tâche d’économisée le matin !


- Vous m’avez l’air un peu soucieux, Benoît ? dit Jean-Emmanuel alors que le jeune singe entra au pas de charge dans son bureau.

Benoît releva la tête, s’aperçut du lieu où il se trouvait et rougit. Jean-Emmanuel s’en aperçut et dit avec un sourire bonhomme :

- Ah ah, profitez de cette rougeur, avant qu’elle ne vous quitte pour toujours !

Benoît s’arrêta, gêné. Il avait presque oublié, avec toute cette histoire d’optimisation de son temps.    


Jean-Emmanuel portait un pantalon beige de flanelle, un veston gris et une chemise à col droit ridiculement cintrée sur son corps de gorille. Il se leva pesamment, essuya ses lunettes sur le revers de sa manche, pris d’un geste sa veste en tweed et sortit de son bureau en invitant Benoît à le suivre d’un geste de la main.
lls s’arrêtèrent jusqu’au premier point d’eau. Jean-Emmanuel tira 33cl. Puis il laissa la place à Benoît. Derrière la fontaine se trouvait une fenêtre à travers laquelle on pouvait apercevoir un cimetière entouré de haies. Dans une d’elles, il vit un couple de merles. La femelle arborait une belle toison marron et un bec gris. Le mâle lui était d’un noir brillant, et son bec rouge faisait refléter le soleil.

Juste avant de descendre le petit escalier menant à l’accueil, Jean-Emmanuel enfila sa veste et rajusta son col. Je suis bien habillé moi aussi, se dit Benoît.

L’accueil du Syndicat était recouvert de lino bleu. Des palmiers étaient disposés ça-et-là pour donner à la salle bonne tenue. Au centre se trouvait la potence. Dans un coin de la salle, une fontaine de chocolat avait été installée à côté de quelques bouteilles, sur une table à tréteaux. Un groupe de bonobos et de gorilles triés sur le volet étaient là pour assister à la pendaison de Benoît. Quelques applaudissements fusèrent. Une haie se forma. Le nœud n’était pas loin. Bientôt, Benoît ne penserait plus. Au premier rang, il aperçut Rémi et Bastien qui à son passage, levèrent leurs pouces fièrement.

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