Chapitre 5 - Benoît rencontre le Président du Syndicat

 


C’était la première fois que Benoît rencontrait Bernard, le Président du Syndicat. C’était la première fois que Benoît pleurait en public aussi. D’habitude, il faisait ça au sein de sa couche, dans la nuit, honteux. Mais là, ce devait être la bataille, les nerfs, la retraite dans la jungle, la blessure qu’il touchait anxieusement toutes les cinq minutes, à se foutre une infection, mais c’est pas grave faut bien vivre.

La salle où Benoît et Bernard se faisaient face mesurait 20 mètres de long. À droite du trône où siégeait Bernard se tenait des toilettes aux portes recouvertes d’une fine couche d’or. Nadine, la secrétaire de Bernard, racontait à qui voulait l’entendre l’horrible puanteur qui se dégageait des toilettes du Président.

Mais personne ne voulait l’entendre, avec sa coupe de mulet et son haut du crâne décoloré pour faire écho - disait-elle - à son gros cul rose. Pour l’instant, Nadine, située à la droite du Président, ne pipait mot, trop décontenancée par la silhouette chétive transportée de larmes et de frissons qui se trouvait devant elle. Fierté faisant, elle notait soigneusement sur son ordinateur le discours de l’invité de son Président - “  Bouh-ouh. Bouh-ouh. Bouh-ouh.” - et ne pensait à rien.

- Non, mais arrêtez à la fin, dit Bernard. Son gros ventre remuait et ses pupilles semblaient s’être réfugiées derrière ses paupières. Nous avons reçu des plaintes à propos de votre comportement. Ne jouez pas à ça avec moi, mon petit Benoît. Vous voulez bien ne pas jouer à ça avec moi ?

- Mais qui ? Qui ? Dites-le moi, répondit Benoît. J’ai tout bien fait. Je vous le jure. Je n’ai rien à me reprocher ! Dites-moi de qui viennent les plaintes, que je comprenne comment j’ai fauté. Je veux comprendre. Je dois comprendre.

Benoît repassait en boucle le déroulement de la bataille avec la SAGEREP, et des jours qui suivirent. Il n’avait pas brillé, mais il n’avait pas démérité non plus. Toujours le premier à trancher dans les premières lignes de l’ennemi. Il connaissait le jeu. Il était tombé devant l’ennemi bien courageusement, aurait dit sa mère.

Benoît claqua martialement des pieds. Il mit sa main droite sur son ventre chaud et grouillant de vers de palmiers, et fit pointer ses yeux vers le lointain.

- C’est Christophe, chuchota Bernard.

- Quoi, j’ai mal entendu ? dit Nadine, en tournant la tête vers son Bernard de Président.

- Hm. C’est Christophe, dit Bernard avec un poil plus d’assurance, tout en toisant Nadine avec sévérité.

Nadine et Benoît se regardèrent furtivement, elle désolée, lui ahuri. Le jeune bonobo encaissa la nouvelle sans vraiment chercher à la comprendre, et sans vraiment comprendre pourquoi il ne cherchait pas à la comprendre. Dans la salle, une horloge sonna midi.

 - Benoît, je vous aime bien, vous savez, dit Bernard.

Benoît voulut reprendre : moi aussi, je vous aime bien, mais il se tut.

- Benoît, vous savez que s’il y avait un autre employeur auquel je pourrais vous recommander, je le ferais sans hésitation. Et ce ne sont pas des paroles en l’air, Benoît. Ce ne sont pas des paroles en l’air ! Je mise ma réputation sur ces recommandations. Vous comprenez Benoît ? Acquiescez, s’il vous plaît, enfin ! Sinon, je ne sais plus où j’en suis !

Benoît fit un signe de la tête.

- Mais malheureusement, je ne peux pas… Voyez-vous, mon cher Benoît, les employeurs dans la jungle ne sont pas légions. Et il est hors de question que je vous laisse entre les mains de la SAGEREP. Je ne ferais pas une telle erreur. Vous êtes trop précieux ! Vous le savez ça, mon petit Benoît ?

Alors que Benoît s’apprêtait à répondre, Jean-Emmanuel arriva dans la salle du trône en faisant claquer bruyamment les portes . Jean-Emmanuel portait une chemise en toile blanche, et un pantalon de flanelle beige. Un sourire narquois ornait son visage. Il s’arrêta, enleva ses lunettes et les essuya du revers de la main dans sa fourrure, puis dit :

- Ah ah ah ! Bonjour Bernard, ravi de vous revoir ! Une idée, pour vous, pour moi : tuons-le, oui, tuons Benoît. Allez, hop, un coup derrière la nuque et il n’embêtera plus personne. Je m’en occupe ! Allez, c’est réglé !

Bernard malaxa nerveusement le bout des accoudoirs de son trône pendant une bonne minute, puis dit :

- Vous me faites ça demain matin ? Sans fautes ?

- Oui bien sûr ! Vous me connaissez, je suis toujours plus productif le matin !

Benoît se leva et demanda l’autorisation de quitter la salle du trône pour rejoindre le réfectoire. Jean-Emmanuel la lui donna avec un sourire bienveillant. Le jeune bonobo, raide comme un piquet, fit un salut militaire à ses deux supérieurs, qu’il regretta immédiatement en les voyant pouffer dans leurs pattes. Il se retourna sans laisser rien paraître, marcha vers la porte  et l’ouvrit en la tirant des deux mains. Puis, l’air absent, il se retourna et demanda :


- La porte ? Ouverte ou fermée ?
 

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