Chapitre 3 - Benoît se sent pousser des ailes

“ La guerre, c’est son dada… C’est sa came quoi ! Tuer, c’est pour ça qu’il se lève le matin notre Benoît national. Il est jeune, il est frais, il est avec nous depuis bientôt un an, et c’est aujourd’hui c’est sa première bataille. A round of applause for my friend Benoît ! Benoît, de la part de toute l’équipe de Radio Désingé, on te souhaite beaucoup de morts aujourd’hui. BEAUCOUP !

- Bien dit mon Willy ! ”

Quelques minutes après les premières effusions de sang, l’extracteur mécanique tout en haut dans le ciel s’était soudainement tu, pour laisser la place à une émission radio amateur. Les discours enjoués de Willy et son équipe rendaient le sourire à tout le monde sur le champ de bataille. Même les babouins baignant dans leur sang dodelinaient de la tête avant de rendre leur dernier souffle, l’air de dire : “ Ouf, quelques minutes plus tard, et j’allais rater l’émission d’aujourd’hui ”.

Benoît rougit en entendant son nom. Tout autour de lui, ses camarades bonobos se battaient férocement contre leurs collègues babouins de la SAGEREP. Mais personne n’avait le dessus sur son adversaire, ni d’un côté ni de l’autre. La star du jour jeta un coup d’oeil circulaire et se dit avec dépit que, malgré une belle lumière matinale, la scène ressemblait à s’y méprendre à des bagarres de bacs à sable. Ici, aucune agressivité dans ce coup de bouilloire asséné par Rémi sur la fontanelle de ce vieux mâle. Là, des ramettes de papier envoyées sans même s’assurer de leur épaisseur réglementaire par des gorilles qui - espérait-il de toutes ses forces - étaient soûls tant les projectiles atteignaient rarement leurs cibles. 

Benoît attrapa par le col le premier bonobo qui passa devant lui, maintint sa gueule ahurie devant sa mâchoire et hurla : “ VOUS, DANS MON BUREAU, TOUT DE SUITE ! ”. L’infortuné soldat avait les yeux injectés de sang, les jambes qui tremblaient et les canines sorties. Il voulait tuer. C’est pourquoi ce changement d’objectif en plein milieu de la mission le rendit quelque peu confus. Mais comme tout bon professionnel, il savait pivoter avec une agilité remarquable et allait le prouver. Benoît agrippa une poignée imaginaire de sa main droite, la fit pivoter et ouvrit la porte à laquelle elle était reliée. Puis il invita sa victime qui pâlissait à vue d’oeil, malgré le sang étalé sur son visage, à entrer dans son bureau, et lui dit:

- On va parler de vos motivations….

Le jeune bonobo était debout devant lui, les mains derrière le dos, le regard droit, un léger sourire sur le visage.

- Mais asseyez-vous, bon sang !

Benoît se leva, le regarda droit dans les yeux et s’aperçut que les pupilles du bonobo pourtant terrifié étaient parfaitement immobiles et que ses yeux ne cillaient pas. A sa droite en arrière-plan, le jeune bonobo remarqua une chouette avec les ailes parfaitement déployées, dont les serres s’agrippaient fermement au mollet droit d’un cadavre de babouin. La chouette plongeait son regard dans celui du jeune bonobo.

- C’est bien, mon jeune ami, vous restez droit dans vos bottes, même dans les moments de disgrâce. Vous avez au moins ça pour vous, dit Benoît.

Un hululement aux accents de faim et de lamentation vint stopper la scène. Benoît, par réflexe, regarda le ciel. Mais en lieu et place de l’oiseau qu’il croyait y trouver, arriva une ramette de papier arriva dans son champ de vision. Elle était constituée de près de 500 feuilles de taille A4, dont le grammage s’adapte autant aux présentations un peu colorées qu’aux compte-rendus de réunions en police Time New Roman taille 11. Benoît reçu la ramette sur la tempe droite et le choc le fit basculer dans la boue.

- Où est-il ?... Où est-il cet imbécile ?

Des pieds poilus, boueux et nerveux allaient de part et d’autre devant ses yeux. Chacun faisait la taille d’une tête, et à chaque frustration, un cadavre disparaissait sous ses pas. Au loin, la bataille semblait reprendre. La SAGEREP reculait. Les troupes du Syndicat exultait comme des enfants. Malgré la tuméfaction qui recouvrait une bonne partie de son visage, Benoît sourit. Et toujours allongé comme un bienheureux, il dit :

- Pardon Monsieur, je peux peut-être vous aider… Je connais tout le monde sur le champ de bataille …. Retrouvez et congédiez… C’est the next step de mon évolution professionnelle ... Qui cherchez-vous ?

Les pieds s’arrêtèrent net, et firent place à une tête de gorille aux yeux bovins, aux petites lunettes et au crâne chauve.

- Excuse-moi, je cherche Benoît.

Benoît reconnut son interlocuteur. Malgré la douleur qui émanait de tout son corps, il se remit debout en un craquement de tibia. Puis il se mit au garde-à-vous, et tout en regardant au-dessus de l’épaule du gorille, comme on lui a appris à faire pour éviter de croiser son regard, il dit :

- Bonjour Jean-Emmanuel. Je suis Benoît. C’est un honneur d’être dans le bateau dont vous êtes le capitaine. C’est un honneur de mener votre équipage à la mort. Je souhaiterai qu’un jour vous puissiez être fier de moi. Je sais que ce n’est pas encore le cas, et je le comprends que trop bien...


Benoît soliloquant, Jean-Emmanuel le regarda par-dessus ses lunettes avec un sourire mystérieux sur le visage, tout en se disant qu’il aurait dû ajouter quelques feuilles à la ramette de papier pour ne pas avoir à subir ses bavardages. Benoît, remarquant les mouvements du visage de son n+2, s’enguaillardit et se dit que ce pouvait bien être le moment de faire valoir ses compétences :

- VOUS SAVIEZ QUE RADIO DÉSINGÉ AVAIT FAIT UN ÉPISODE EN MON HONNEUR ? VOUS LE SAVIEZ, HEIN ?


Jean-Emmanuel lui asséna son poing au milieu de la tête, et Benoît bascula dans le néant.


“ Hello, c’est toujours Willy de Radio Désingé pour les dernières nouvelles duuuu champ d’bataille ! Jean-Emmanuel, l’un des gorilles du Syndicat, a été vu sur le champ de bataille portant sur son dos le corps de notre bien-aimé Benoît. Avec lui recule toute notre armée ! C'est dingue ce qu'il se passe ! Les bonobos en première ligne montrent à l’armée de la SAGEREP des pouces par centaine pour signifier une demande de pause dans les hostilités. Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé, mais franchement, ce Benoît, quelle déception…

- Bien dit mon Willy !”

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